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            partager avec eux sa passion pour le Moyen-Âge qui
            était son époque de prédilection. Il envisageait même de
            faire une thèse sur Charles V, un roi qu’il affectionnait
            particulièrement. Malheureusement, la guerre devait en
            décider autrement. Ses difficultés pour se déplacer, les
            problèmes respiratoires qu’il avait ramenés du front, peut-
            être dus à des gaz toxiques ennemis, lui rendait
            impossible l’exercice du métier d’enseignant.
                   On lui proposa donc une reconversion comme
            archiviste à la Bibliothèque nationale de France, rue de
            Richelieu, à quelques minutes à pied de son domicile. Il
            accepta sans grand enthousiasme mais, en son for
            intérieur, il était plutôt satisfait car cet emploi lui donnerait
            davantage de temps libre pour mener son projet de thèse
            et lui permettrait de profiter de grandes facilités pour
            effectuer ses recherches dans les nombreux fonds de la
            bibliothèque. De plus, ses travaux porteraient sur le roi
            Charles V, un monarque d’une grande érudition qui fonda
            la Librairie royale, ancêtre de la Bibliothèque nationale.
            Peut-être un signe du destin !
                   Finalement, ce qu’il appréhendait le plus, ce
            n’était pas son nouveau métier mais plutôt le fait de
            renouer avec la vie professionnelle qu’il avait quittée
            depuis sa mobilisation il y a presque deux ans. Il craignait
            aussi l’attitude de ses futurs collègues. Certains
            pourraient voir en lui un planqué, un tire-au-flanc, tout
            simplement parce qu’il était revenu vivant du front.
            Comment leur expliquer l’enfer qu’il avait vécu dans les
            tranchées ! D’autres, au contraire, pourraient s’apitoyer
            sur sa condition de grand invalide de guerre, alors que
            lui ne demandait qu’à être un employé comme les autres.
            Alors qu’ils remontaient la rue du Mail, Désirée lui dit en
            prenant un air empli de mystère :
                    – Tu sais, lorsque j’ai interrogé le tarot ce matin,
            trois cartes sont sorties successivement : La Tempérance,
            L’Arcane sans Nom et L’Étoile.
                    Tous les jours, à son réveil, la jeune femme
            effectuait un tirage sur trois arcanes. Elle partageait
            parfois son interprétation avec son compagnon. Celui-ci,
            un peu sceptique au départ, fut rapidement bluffé par les
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