Page 9 - Mise en page 1
P. 9

13


            et, à nouveau, elle rêvait de quitter cette ferme, ce pays
            rude, cette vie monotone où les seules distractions
            étaient la veillée au coin du feu, parfois égayée par une
            grillade de châtaignes, la messe du dimanche et, lorsque
            arrivaient les beaux jours, quelques fêtes de village.
            Désirée ne pouvait plus s’imaginer rester ici. Sa décision
            était maintenant prise. Elle partirait coûte que coûte et sa
            destination serait Paris, la ville lumière, le lieu de tous ses
            rêves. Elle avait abandonné son projet de devenir
            institutrice. Poussée par sa passion pour le tarot et par
            les résultats plutôt concluants des tirages qu’elle réalisait
            auprès de ses proches, elle caressait secrètement l’idée
            de devenir cartomancienne. Non pas une tireuse de carte
            dans une échoppe des faubourgs, mais la voyante des
            beaux quartiers, celle qui recevrait tout ce que Paris
            compte d’hommes et de femmes riches et célèbres.
                    Par une froide journée de février, elle reçut une
            lettre de l’administration qui l’informait que sa demande
            de pension de veuve de guerre était acceptée. Le soir
            même, lorsque ses frères et sœurs eurent quitté la table,
            elle annonça sa décision à son père. Le brave homme
            en fut profondément affecté et il ne lui adressa pas la
            parole pendant deux jours. Mais il connaissait sa fille et
            il savait que, têtue comme elle était, son choix serait
            définitif. Il fit contre mauvaise fortune bon cœur et lui
            donna l’adresse d’un cousin qui était parti à la capitale il
            y a vingt ans pour ouvrir un bar dans le quartier du
            Marais.
                    Trois semaines, plus tard, le 15 mars 1914,
            Désirée débarquait gare de Lyon. C’était un lundi matin.
            Elle avait pris le train de nuit et descendit sur le quai avec
            une valise dans chaque main. Elle n’avait emporté que
            le strict minimum : des vêtements, quelques livres en
            souvenir de ses années d’études, son jeu de tarot et un
            petit pécule hérité de son défunt mari. Elle logea quelque
            temps chez le cousin cafetier avant de trouver une
            chambre meublée dans le quartier de la Bastille.
                    Après quelques jours occupés à flâner dans la
            capitale, elle apprit par sa logeuse que l’Hôpital Saint-
            Antoine recrutait des infirmières auxiliaires pour
   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13   14