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et, à nouveau, elle rêvait de quitter cette ferme, ce pays
rude, cette vie monotone où les seules distractions
étaient la veillée au coin du feu, parfois égayée par une
grillade de châtaignes, la messe du dimanche et, lorsque
arrivaient les beaux jours, quelques fêtes de village.
Désirée ne pouvait plus s’imaginer rester ici. Sa décision
était maintenant prise. Elle partirait coûte que coûte et sa
destination serait Paris, la ville lumière, le lieu de tous ses
rêves. Elle avait abandonné son projet de devenir
institutrice. Poussée par sa passion pour le tarot et par
les résultats plutôt concluants des tirages qu’elle réalisait
auprès de ses proches, elle caressait secrètement l’idée
de devenir cartomancienne. Non pas une tireuse de carte
dans une échoppe des faubourgs, mais la voyante des
beaux quartiers, celle qui recevrait tout ce que Paris
compte d’hommes et de femmes riches et célèbres.
Par une froide journée de février, elle reçut une
lettre de l’administration qui l’informait que sa demande
de pension de veuve de guerre était acceptée. Le soir
même, lorsque ses frères et sœurs eurent quitté la table,
elle annonça sa décision à son père. Le brave homme
en fut profondément affecté et il ne lui adressa pas la
parole pendant deux jours. Mais il connaissait sa fille et
il savait que, têtue comme elle était, son choix serait
définitif. Il fit contre mauvaise fortune bon cœur et lui
donna l’adresse d’un cousin qui était parti à la capitale il
y a vingt ans pour ouvrir un bar dans le quartier du
Marais.
Trois semaines, plus tard, le 15 mars 1914,
Désirée débarquait gare de Lyon. C’était un lundi matin.
Elle avait pris le train de nuit et descendit sur le quai avec
une valise dans chaque main. Elle n’avait emporté que
le strict minimum : des vêtements, quelques livres en
souvenir de ses années d’études, son jeu de tarot et un
petit pécule hérité de son défunt mari. Elle logea quelque
temps chez le cousin cafetier avant de trouver une
chambre meublée dans le quartier de la Bastille.
Après quelques jours occupés à flâner dans la
capitale, elle apprit par sa logeuse que l’Hôpital Saint-
Antoine recrutait des infirmières auxiliaires pour