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prodiguait les soins aux soldats amputés et les
accompagnait dans leurs promenades quotidiennes.
Depuis, ils ne se sont plus quittés. Ce dimanche-là, le
couple était venu à pied de leur domicile, rue
Montmartre. C’était la première fois qu’Ernest
effectuait un trajet aussi long. Malgré la fatigue, la
difficulté pour soulever sa jambe, il ressentait un
sentiment de liberté et de fierté au côté de la femme
qu’il aimait.
Désirée, qui devinait l’épuisement de son
compagnon, lui proposa de s’asseoir sur un banc. Une
légère brise faisait frémir le feuillage des arbres qui
bordent le jardin et le soleil commençait à décroître
dans le ciel. Gagné par cette douce torpeur, Ernest
s’endormit.
Désirée avait déjà l’esprit ailleurs. Comme dans
un film, elle se remémorait les jalons de son existence :
son enfance passée dans un petit village du Rouergue,
son arrivée précipitée à Paris en mars 1915 et sa
nouvelle vie dans la capitale.
La jeune femme naquit le 3 mai 1894 dans un
hameau isolé au sud du département de l’Aveyron. Elle
était l’aînée d’une famille de sept enfants. Ses parents
exploitaient la ferme familiale et le père avait également
créé un atelier de tournage sur bois. Cette activité
complémentaire lui permit de faire vivre la famille dans
des conditions tout à fait convenables. Excellente élève,
Désirée fut reçue première du canton au certificat
d’études alors qu’elle venait d’avoir 14 ans. Une fierté
pour ses parents qui avaient tous les deux quitté l’école
à dix ans. Les résultats brillants de Désirée lui permirent
de bénéficier d’une bourse pour poursuivre sa scolarité
au cours complémentaire de Millau à une trentaine de
kilomètres du village, une première étape pour réaliser le
projet qu’elle caressait depuis toute petite : devenir
institutrice, de préférence dans une grande ville, à
Toulouse, Montpellier ou, pourquoi pas, Paris.