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                   Le collège ne disposait pas encore d’internat pour
            jeunes filles et elle eut la chance d’être hébergée chez
            sa tante Eugénie, la sœur aînée de sa mère. Cette vieille
            fille au caractère taciturne était ouvrière dans une des
            nombreuses ganteries que comptait la ville. Mais elle
            avait une véritable passion dans sa vie : la cartomancie.
            Tous les soirs, après une dure journée de labeur, elle
            sortait son jeu de tarot et faisait des tirages. C’était
            souvent pour elle-même et parfois pour des voisines ou
            collègues de travail qui venaient lui rendre visite. Désirée
            aimait la regarder, d’abord un peu moqueuse, puis de
            plus en plus intriguée par le défilé des arcanes et la voix
            douce de sa tante qui murmurait l’interprétation du tirage
            comme si elle égrenait un chapelet. Les thèmes
            récurrents étaient l’amour, la trahison, la maladie et
            parfois la perte d’un proche. Eugénie, voyant que sa
            nièce s’intéressait à son art, lui donna quelques
            rudiments. Le soir, elles enchaînaient ensemble tirage
            sur tirage, et la tante comprit vite que Désirée manifestait
            de véritables dispositions pour la divination.
                    Deux ans plus tard, alors qu’elle venait juste de
            passer les dernières épreuves du brevet, la jeune fille
            reçut un télégramme de son père qui l’informait que sa
            mère était au plus mal. Elle fit ses valises et monta dans
            le premier bus à destination du village. Juste avant le
            départ, sa tante lui remit un tarot de Marseille tout neuf.
            Un cadeau qui bouleversera le cours de son existence !
                    Mais, quand elle arriva à la ferme familiale, il était
            malheureusement trop tard. Sa mère venait de décéder
            des suites d’une pneumonie.
                    Pendant les jours qui suivirent, Désirée, qui était
            très proche de sa mère, fut emplie d’une très grande
            tristesse. Sa réussite brillante au brevet ne lui procura
            aucune joie. Sa peine fut encore plus grande quand elle
            comprit que désormais elle devrait assister son père
            dans l’exploitation de la ferme et surtout, s’occuper de
            ses six frères et sœurs. La plus jeune n’avait que cinq
            ans ! Son rêve de devenir institutrice à la ville s’était
            évanoui et elle savait que son destin, maintenant, serait
            de rester à la ferme, de rencontrer un jeune paysan avec
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