Page 8 - Mise en page 1
P. 8

12


            qui elle fonderait une famille et de passer le restant de
            sa vie comme ses parents et ses grands-parents.
                    Les années qui suivirent furent les plus difficiles
            de sa jeune existence. Il fallait s’occuper des enfants,
            tenir la maisonnée et aider le père à la ferme. Le soir,
            épuisée, lorsqu’elle avait encore un peu de courage, elle
            sortait son tarot, et s’imaginait en consultation devant un
            client. Parfois, sa voisine venait la voir et, en échange
            d’un tirage, elle lui donnait un ancien numéro du Petit
            Journal. Elle lisait avidement les rubriques d’actualités
            marquées par les braquages et le procès de la bande à
            Bonnot, les conflits sociaux, l’élection de Raymond
            Poincaré à la présidence de la République. Mais surtout,
            elle se passionnait pour la rubrique mondaine qui mettait
            à l’honneur des grandes fortunes, des artistes connus et
            des aristocrates.

                    Au début de l’année 1914, elle rencontra Marcel,
            le fils d’un agriculteur aisé d’un village voisin. Le jeune
            homme venait régulièrement à l’atelier de son père pour
            remplacer des manches de pioche ou de faux. Il en profitait
            pour courtiser la jeune fille qui tomba vite sous le charme
            de sa conversation et de ses superbes bacchantes qui
            mettaient encore plus en valeur sa prestance naturelle.
            Les deux tourtereaux se marièrent en mai et s’installèrent
            non loin du hameau dans une dépendance de la ferme de
            son beau-père.
                    Hélas, cette vie conjugale qui s’annonçait
            heureuse fut de courte durée car la guerre arriva et, en
            août 1914, Marcel reçut son ordre de mobilisation. Il partit
            rejoindre un bataillon d’infanterie à Bar-le-Duc dans la
            Meuse et, à l’issue de deux mois de préparation, il fut
            envoyé au combat. Après trois semaines sur le front, il
            s’écroula sous les tirs de l’ennemi. Nous étions en
            novembre 1914 et Désirée, âgée seulement de vingt ans,
            était déjà veuve de Guerre.
                    Ses frères et sœurs avaient maintenant grandi et
            les aînés aidaient leur père à la ferme ou à l’atelier.
            Désirée continuait à jouer son rôle de maîtresse de
            maison mais son esprit était ailleurs. L’hiver approchait
   3   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13